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là, ne s’enquit de rien et sortit avec Tonino pour aller préparer ma chambre.

Jean Morgeron, qui m’observait, vit bien que j’étais frappé de cette originalité et que j’en étais même un peu gêné.

— Ma sœur vous étonne, me dit-il. Elle est assez étonnante, en effet. Elle est d’une autre race que moi ; sa mère était Italienne, et Tonino est son cousin. C’est une nature bien difficile à manier et qui ne se rend à l’opinion de personne ; mais elle a tant de courage, tant d’intelligence, d’activité et de dévouement, qu’elle n’a pas sa pareille dans le monde pour se rendre utile. Si nous changeons ici quelque chose, il faudra batailler pour qu’elle l’accepte ; mais, une fois qu’elle l’aura accepté, elle vaudra dix hommes pour l’exécuter.

— Et si elle ne l’accepte pas ?

— J’y renoncerai. Je veux la paix. Je la laisserai gouverner ici comme elle l’entend, et je ferai un autre établissement où je pourrai contenter ma cervelle en suivant mes projets à moi tout seul… à la condition pourtant que vous m’aiderez, si vous trouvez que j’ai raison.

Le lendemain, dès le point du jour, j’inspectai la propriété des Morgeron. Le projet de Jean était réalisable et très-bon en lui-même ; mais il ne savait pas compter, et, comme tous les gens à imagination vive, il arrangeait les chiffres au gré de ses désirs et de ses espérances. J’établis froidement mes calculs en me