Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

me dit le patron ; elle est d’un second mariage de mon père. Nous avons mis nos intérêts en commun, parce qu’elle s’entend à les faire valoir, et que nous ne devons nous marier ni l’un ni l’autre.

Je craignis d’être indiscret en demandant la cause de cette étrange restriction. Il pouvait être trop tard pour Jean ; mais, quand je vis sa sœur de plus près, je restai convaincu qu’il n’en était pas ainsi pour elle. Elle avait une de ces figures un peu fatiguées et mobiles qui n’ont pas d’âge bien précis. Dix fois en une heure, elle paraissait plus ou moins âgée qu’elle ne l’était réellement ; mais, plus ou moins jeune, elle était remarquablement jolie. Elle appartenait à un type dont je n’ai jamais rencontré l’analogue. Menue sans être maigre, extrêmement bien faite, brune de cheveux, avec des yeux bleus et la peau blanche, régulière de traits comme un profil grec, elle avait dans tout son être je ne sais quoi d’anormal et de mystérieux. Elle était railleuse, incisive même, avec une physionomie sérieuse ; prévenante, hospitalière et pleine de soins délicats, avec une brusquerie singulière ; distinguée, spirituelle, aimable, et tout à coup entêtée, épilogueuse, et presque blessante dans la discussion. Elle me fit un accueil très-froid, ce qui ne l’empêcha pas de me combler d’attentions, comme si j’eusse été un maître et comme si elle eût été une servante. J’en étais embarrassé, et, quand je la remerciais, elle ne paraissait pas entendre et regardait ailleurs. Elle ne témoigna aucune curiosité de me voir