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essuyant à la dérobée les larmes que lui arrachait mon apparente préoccupation.

Je fus ému peu à peu de cette douceur, et je saluai en moi l’émotion comme la bonne nouvelle.

— C’est peut-être la grâce qui descend sur moi, me disais-je. Peut-être vais-je oublier le passé ; peut-être, un matin ou un soir, quelque rayon luira sur ma triste nuit de désespérance. Je reverrai cette figure chérie que je ne peux plus me représenter. Elle aura retrouvé son nimbe, son profil pur, la virginité de son attitude. Madame Sylvestre aura disparu à jamais ; Félicie Morgeron, la fille biblique, élégante et pudique, avec sa cruche sur la tête, reviendra de la fontaine en me disant : « Bois, » et je ne saurai plus que sa main m’a versé le poison du mensonge.

Ah ! la revoir ainsi, ne fût-ce qu’un instant, j’aurais donné pour cela le reste de ma vie ! Il y avait des jours où j’étais tenté de me fouiller le cœur avec mon canif pour en extirper le souvenir, ce ver rongeur qui m’empêchait d’espérer.

Il arriva, ce jour fatal que je demandais si naïvement à la destinée. Félicie était allée à l’église, non pour prier, elle ne croyait réellement à rien au delà de la vie, mais pour rêver ou se recueillir, peut-être pour essayer de croire. J’écrivais quand elle entra parée, animée, vraiment belle et rajeunie. Je la regardai. Elle s’agenouilla et me dit :

— Vous souvenez-vous d’un air que j’improvisai par hasard il y a trois ans, et qui vous parut, vous