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sentiment de la propriété. Ma femme m’aimait encore, je le voyais bien ; elle m’avait toujours aimé ; elle avait été fascinée, envahie, égarée ; elle n’attendait pour redevenir pure que le retour de ma tendresse sans bornes. C’était le signe de ma confiance en elle qui seul pouvait lui rendre la confiance en elle-même ; c’était l’acte de foi par lequel notre union devait être renouvelée et à jamais dégagée de l’entrave du mal.

— Pourquoi ne serais-je pas un saint ? me disais-je. N’ai-je pas fait le plus difficile ? N’ai-je pas terrassé la colère et bu la douleur ? N’ai-je pas traversé le désespoir et vaincu l’orgueil ? J’ai agi en philosophe, en ami, en homme religieux, en homme du monde ; je ne me suis pas cru délié de mes serments ; j’ai été le père spirituel de cette âme enfant, de cette organisation sauvage dont je n’avais pas prévu, mais dont j’ai subi les écarts et les déchaînements. J’ai épuisé ce calice jusqu’à la dernière goutte, et, au moment de recueillir le fruit de ma sagesse et de ma bonté, voilà que la haine remonte, et qu’au lieu de donner le baiser de paix, mes lèvres frémissent d’horreur et d’épouvante ! Est-ce que je redeviens l’homme irréfléchi, vulgaire, instinctif que j’ai résolu de ne pas être ?

Je retournai auprès de Félicie pour la rassurer au moins sur la bizarrerie de mes manières. Si je lui laissais deviner ce qui passait en moi, elle était perdue ; elle mourait de douleur et de honte, ou elle