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— Oh ! que vous me faites de mal ! Vous voulez donc me tuer ?

Je la lâchai et je m’enfuis. Que s’était-il passé en moi ? Je ne pouvais m’en rendre compte. Le ciel m’est témoin qu’en disant à cette femme : « Je vous aime plus que jamais, » je croyais lui dire la vérité. J’avais eu une si fervente résolution de lui pardonner, que je ne doutais pas de moi-même. J’étais paternel, j’étais évangélique dans ce moment-là. Je croyais recevoir dans mon sein l’enfant prodigue, rapporter au bercail sur mon épaule la brebis égarée ; mais, en surprenant, au lieu d’un rayon de reconnaissance, un éclair de volupté dans ces yeux d’azur, je ne sais quelle secrète horreur s’était emparée de moi, comme si j’allais, en partageant un désir sacrilège, souiller la plus noble victoire de l’âme, le pardon de la charité !

C’est alors que je compris enfin ce qui s’était brisé en moi. Je m’étais cru ravivé et renouvelé par les efforts de ma volonté ; je croyais pouvoir sauver cette âme sur laquelle j’avais juré de veiller et d’étendre la protection infatigable de l’amour. L’amour m’échappait… Le dégoût s’emparait de moi à la pensée d’unir mes lèvres à ces lèvres souillées, de confondre dans un baiser l’âme d’un homme sans reproche et celle d’une femme avilie. Qui d’elle ou de moi était devenu un cadavre ? L’abîme du tombeau s’était ouvert entre nous ; à la pensée de le franchir, tout mon être se révoltait. Ah ! c’est bien elle qui était morte ! En simulant la vie, le spectre deve-