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un peu monotones qu’elle m’avait données de ses fréquentes préoccupations, une gêne secrète et des invraisemblances dans nos rapports intimes. Dans ce temps-là, elle n’avait pas simulé l’amour avec moi, elle en avait ajourné l’expression, comme si, ayant toute la vie pour m’aimer, elle eût voulu ménager la fraîcheur de sa tendresse. Délicat comme ceux qui aiment véritablement, je n’avais pas voulu l’interroger sur sa réserve ; j’avais attendu le retour de l’effusion, me disant que le provoquer, c’était risquer de l’imposer, et qu’il ne faut jamais condamner la femme à manifester l’enthousiasme qu’elle n’éprouve pas.

Quand elle se sentit libre de revenir à moi, elle s’étonna de me trouver à mon tour inintelligent et préoccupé. Elle épia mon assiduité au travail, mon ardeur à la promenade, l’accablement d’un sommeil chèrement acheté par des semaines de réflexion et d’insomnie, et, un jour, elle s’écria en pleurant :

— Vous ne m’aimez plus !

— Je vous aime plus que jamais ! lui répondis-je en prenant dans mes mains sa tête brûlante, qu’elle cachait dans ma poitrine.

Mais, quand mes lèvres s’approchèrent de son front pour le purifier par le pardon de l’amour, une force invincible roidit mes bras. Je tins cette pauvre tête dégradée à distance de la mienne sans qu’il me fût possible de les rapprocher l’une de l’autre, et cette force contre laquelle je luttais en vain fut si convulsive, que Félicie, effrayée, s’écria :