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mariage qui nous liait. Elle ne voulait pas renoncer à ces avantages. Elle les conservait au prix du mensonge : pouvait-elle se croire innocente et seulement excusable ?

Elle avait des remords, mais insuffisants pour la retirer du mal. Elle avouait elle-même qu’aux jours de sa passion satisfaite, elle avait été insouciante comme un oiseau et s’était sentie pure comme une fleur ! Elle était entrée alors dans cet état de l’âme que, ne l’ayant pas connu, je ne pouvais pas juger : l’enivrement absolu. Ce qui me la faisait paraître plus lâche et plus inique était-il précisément ce qui devait me rendre plus compatissant et plus miséricordieux ? Quand on rencontre un homme ivre, près de tomber dans l’eau ou de se faire écraser par les voitures, on sait bien qu’il a perdu la force et la raison par sa faute, et cependant on le retire du danger, la pitié faisant taire le mépris ou le dégoût. Hélas ! l’ivrogne aussi croit développer sa vitalité et compléter son rêve en détruisant son intelligence. Pour le philosophe impassible, il n’y a là qu’un imbécile qui se trompe.

Comme les sauvages qui ne savent pas que l’ivresse conduit à la mort ou à l’imbécillité, Félicie avait voulu boire l’eau de feu ; mais les pauvres Indiens ignorent-ils réellement le désastre qui les attend ? Ne voient-ils pas succomber leurs frères ? Une première expérience faite sur eux-mêmes ne les éclaire-t-elle pas ? Et pourtant on voit de nobles races s’éteindre ainsi