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heur dont il ne se souciait plus, auquel il ne croyait pas. S’il avait en lui quelque instinct de grandeur, c’était son désintéressement de la vie. Impropre à la lutte, il n’acceptait pas le devoir ; mais il se faisait justice, et la morale du livre eût pu être celle-ci : « Puisque tu ne sais pas vouloir, tu n’as pas le droit de vivre. » On a voulu faire de ce roman une thèse pour ou contre le mariage. Je crois que l’on s’est beaucoup trompé. L’auteur ne s’élevait pas si haut et n’en cherchait pas si long. Il était jeune, et il appartenait à une littérature qui n’avait pas encore vieilli.

J’ai dit que mes instincts de jeunesse avaient répondu à ceux de Jacques. Plus tard, ils avaient été ravivés par le dénoûment d’un très-beau drame d’Alexandre Dumas, le Comte Hermann, un Jacques plus vivant, plus instinctif et plus audacieux que celui de madame Sand ; car il s’immolait par pur héroïsme, sans avoir ressenti d’avance le dégoût de la vie. En somme, ces martyrs volontaires de l’amour trahi n’étaient pas fous. Tout cœur généreux déçu dans sa foi éprouve immédiatement la soif de mourir.

À l’époque que je vous raconte, ces fictions littéraires eussent pu trouver encore en moi un écho de sentiment. J’avais été romantique comme tout le monde ; j’étais, je suis resté romanesque ; la raison de l’âge mûr n’avait pas plus émoussé ma sensibilité que ne l’a fait depuis le poids de la vieillesse. Il est donc certain que, si j’eusse écouté la voix qui sanglotait au fond de mon cœur et celle qui murmurait des