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atroce. Le sentier devenu trop étroit pour nous laisser passer de front, je voulus quitter son bras.

— Non, dit-elle en marchant comme un chamois sur l’extrême rebord du précipice, sans vouloir me quitter ; je ne peux pas tomber, l’amour me porte.

— Quel amour ? lui demandai-je, préoccupé du danger qu’elle courait.

— À quoi songez-vous ? reprit-elle. Quel amour puis-je avoir dans le cœur ? Ah ! Sylvestre, c’est vraiment le seul que j’aie jamais connu. Il n’y a que vous qu’on puisse aimer avec toute son âme. Vous êtes la bonté, la patience, la sagesse et la tendresse. Vous êtes la grandeur et la vérité, vous ! Tout ce qui n’est pas vous est injuste, ingrat, égoïste, corrompu, cruel et lâche. Je hais et je méprise tout ce qui n’est pas vous.

Et, comme je voulais l’empêcher de promener cette exaltation de commande le long des abîmes, elle reprit en s’aventurant de plus en plus :

— Oh ! vous avez l’air de ne plus me croire depuis quelque temps. Je ne sais pas ce que vous avez, l’étude vous absorbe. Est-ce que vous allez redevenir chercheur et rêveur comme avant notre mariage ? Pourtant vous ne pensiez plus à vos livres et à vos recherches, et je croyais que, quand vous vous reprendriez d’amour pour tout cela, vous me feriez chercher et étudier avec vous. Vous me l’aviez promis, et voilà que vous recommencez à penser pour vous seul, et à vous promener en ermite ! Est-ce vrai, que vous voulez encore grimper demain aux chalets Zemmi ?