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Jean, disait Tonino. Vous l’avez assez fait damner, j’espère, avec vos moqueries et vos critiques. Vous lui reprochiez tout, à lui qui ne vous avait jamais rien reproché !

Ce mot entra comme un poignard dans le cœur de Félicie. Tonino était jaloux du passé maintenant, ou il feignait de l’être. Cette faute ancienne, cette tache indélébile, ma généreuse équité avait cru l’effacer à jamais ; Tonino la faisait reparaître, comme cette marque à l’épaule des forçats qu’on ravive en frappant dessus. Le frère et l’époux avaient pardonné, oublié même ! eux qui portaient la peine et la honte de cette tache, ils l’avaient acceptée, et il avait fallu à cette femme vraiment ingrate un amant pour la lui reprocher !

Je vis son sein se gonfler et ses yeux se remplir de larmes brûlantes qu’elle laissa couler sur ses joues sans les essuyer, craignant de se trahir vis-à-vis de moi. Elle garda le silence, je m’éloignai à dessein. Je me perdis dans un buisson, feignant d’y poursuivre une couleuvre. Je vis alors Tonino se rapprocher de sa complice, lui prendre la main malgré elle, lui demander pardon par son attitude ; mais quel pardon humiliant pour elle ! C’est vraiment lui qui faisait grâce, et qui lui accordait comme une faveur une caresse furtive.

Quand je les rejoignis, elle boudait toujours. Je leur demandai de passer près des rochers où j’avais cueilli certains saxifrages quinze jours auparavant,