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dire emporté par une passion aveugle qu’il avait vaincue et qu’il abjurait à mes pieds. Félicie pouvait se dire qu’elle avait triomphé du danger après s’y être exposée pour sauver ma vie, et que son amour pour moi n’avait pas été obscurci un seul instant dans son âme. Voilà pourquoi elle m’avait légué ces preuves de son innocence.

Mais, pour qui analyse et approfondit, il n’est point de vraie chasteté dans certaines épreuves, et, entre ce que j’avais supposé des vagues et timides désirs de Tonino et la passion sensuelle qu’il avait osé tant de fois déclarer et dépeindre, je découvrais un abîme. Cette passion datait de son enfance. Félicie avait eu à la réprimer et à la combattre durant de longues années, elle l’avait redoutée et ménagée, elle en avait eu peur, non-seulement pour moi, mais pour elle-même. Une de ces lettres admettait clairement la possibilité d’y succomber, et, à travers des réprimandes et des menaces d’une puérilité presque risible, elle trahissait le trouble des sens et l’effroi de la chute. Ce n’est pas ainsi qu’une femme de cœur et de bien arrive à se faire respecter. Elle doit savoir se préserver et n’avoir jamais besoin de se défendre. Il n’est, d’ailleurs, pas nécessaire d’avoir reçu une éducation recherchée pour repousser l’amour qui offense ou déplaît. L’instinct et la sincérité suffisent. Une paysanne ne sait pas dire de ces mots qui glacent et répriment ; elle frappe de ses poings et de ses sabots celui dont elle ne veut pas faire son ami.