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nous raconter le fond des choses, et pensait-il pouvoir supprimer les faits qu’il ne trouverait pas nécessaires à sa démonstration. Il en jugea autrement à mesure qu’il avança dans son récit, ou bien il fut entraîné, par la force de la vérité et l’intensité du souvenir, à ne rien retrancher et même à ne rien adoucir.


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Vous me demandez, dit-il en s’adressant à M. et madame***, ce que j’ai fait, en Suisse, de cinq ans de ma vie dont je ne vous ai jamais parlé, et qui doivent, selon vous, renfermer un mystère, quelque grand travail ou quelque vive passion. Vous ne vous trompez pas. C’est le temps de mes plus poignantes émotions et de mon plus rude travail intellectuel. C’est la crise finale et décisive de ma vie de personnalité, c’est ma plus ardente et ma plus dure expérience, c’est enfin mon dernier amour qui est enseveli dans le mutisme que j’observe à propos de ces cinq années.

Quand je quittai la France, à pied, avec soixante-trois francs pour tout avoir dans ma poche, je n’avais pas encore cinquante ans, et ma figure n’en annonçait pas quarante, malgré les chagrins affreux que je vous ai racontés il y a longtemps, et sur lesquels je n’ai pas à revenir. Une vie pure, un fonds de philosophie résignée, le séjour et les occupations de la campagne m’avaient maintenu en force et en santé. Mon front