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la volonté les poursuit, les connaît, les définit, les nomme et les satisfait. Nos passions, c’est notre esprit et notre cœur, notre chair et nos os, notre puissance réalisée, l’intensité de notre vie intime manifestée par notre vie physique ; elles aspirent à être partagées, elles le sont, elles agissent, elles deviennent fécondes, elles créent ! Elles créent des œuvres, des actes, des faits accomplis, l’histoire, — des choses belles, l’art, — ou bonnes, des idées, des principes, la connaissance du vrai. Elles créent des êtres, des enfants qui naissent de nous intellectuellement ou réellement. Ce ne sont donc pas des songes ni des spectres. Ôtez les passions, l’homme n’existe plus.

Et pourtant une passion peut s’éteindre, et nous ne mourons pas ! Ce serait peut-être trop beau de ne pas survivre à sa puissance et de partir avec ce qui nous faisait beaux nous-mêmes, la foi ! Il n’en est pas ainsi : il faut, à plusieurs reprises dans la vie, se sentir brisé, dépouillé, perdu sans ressources et refaire connaissance avec soi-même comme avec un étranger. Il faut se dire, et parfois brusquement foudroyé : « Où donc étais-je tout à l’heure, et quelle est cette autre existence qui me saisit comme une attaque de paralysie ? Est-ce que je vais pouvoir vivre ainsi sans ma pensée, sans mon cœur, sans la raison d’être que j’avais tout à l’heure et que je n’aurai plus jamais ? » Vous avez entendu parler des effets du curare, ce poison qui glace l’énergie vitale sans ôter la conscience de la mort inévitable et prochaine. Je me suis senti pris