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recoiffer. Comme elle prenait ces soins tous les jours avant de se mettre à table, je lui demandai fort simplement si elle était sortie. J’attendais une réponse simple, vraie, plausible ; elle me répondit avec assurance par un mensonge. Elle dit non !… Je répétai ma question comme si quelque distraction m’eût empêché d’entendre la réponse. Elle répondit non !…

Je sentis un vertige passer devant mes yeux et je ne sais quel frisson de mort dans tout mon être.

Non, il n’y a pas qu’une mort ; même dans cette courte vie que nous traversons, nous mourons plusieurs fois. Nous périssons à plusieurs reprises. Notre être apparent reste le même, mais au dedans de nous une âme se détache, s’envole ou s’anéantit ; nous la sentons se glacer en nous et peser comme un cadavre. Que devient-elle ? Va-t-elle nous attendre ailleurs pour s’ajouter à nos existences successives ? Est-ce une chose usée, finie, qui ne servira plus ni à nous ni aux autres ?

Où vont-elles, où vont-elles, nos amours passées ? qui me le dira ? Elles deviennent des fantômes, des ombres, des larves, disent les poëtes. Eh quoi ! n’étaient-elles rien ? Ce monde qui s’efface de devant nos yeux n’a-t-il jamais existé ? Les passions sont-elles des rêves aussi vains que ceux du sommeil ? Non, c’est impossible. Les rêves du sommeil sont l’action d’un moi inconscient et incomplet. Nos passions sont, non pas seulement l’action fatale, mais encore l’œuvre voulue de tout notre être. L’entraînement les suscite, mais