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raient volontiers pardon aux hommes et à Dieu d’avoir quelque sagesse silencieuse et quelque humble prospérité.

Tout à coup je vis Félicie au bas du rocher, tournant avec rapidité le sentier qui s’enfonçait dans un bois de mélèzes. Elle ne fit que paraître et disparaître ; mais c’était bien elle, et sa marche ressemblait à une course furtive. Le cœur me battit bien fort. Je m’en fis reproche, je me levai pour la rejoindre. Je n’osai l’appeler. Sixte More pouvait être quelque part aux aguets et me croire jaloux. Je me rassis sans bruit, et, supposant que j’étais observé, je recommençai à cueillir des fleurs et des herbes sans montrer la moindre agitation.

Depuis un instant, j’étais observé en effet ; mais ce n’était pas par Sixte More, c’était par Tonino, que je vis tout à coup sortir d’un coude que le rocher faisait au-dessus de moi. Il m’avait vu le premier, il avait eu le temps de composer son visage.

— Que diable faites-vous là, mon père ? me dit-il en souriant et en me caressant de son beau regard, limpide comme une source de montagne.

— Tu le vois, lui dis-je ; je cueille ces fleurs qui m’ont tenté.

— Cueillez, dit-il ; la cousine les aime beaucoup. Je passe quelquefois ici, c’est mon plus court pour aller vous voir, et, quand je lui en porte un bouquet, elle me dit toujours : « Où prends-tu de si belles fleurs ? »