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pour Tonino, avec qui il avait eu récemment des discussions d’intérêt. J’avais si bien chassé mes soupçons et vaincu le passé, que je me dirigeai d’un pas et d’un cœur tranquilles vers le lieu qu’il m’avait assez vaguement indiqué.

C’était à une certaine distance de l’habitation et dans une petite gorge dont le sol appartenait précisément à la famille de Sixte More. La roche, très-abrupte, se fendillait à pic le long du sentier ; il n’y avait par là aucune grotte, aucun enfoncement pouvant servir de cachette ou seulement d’abri pour se reposer. En suivant ce sentier de chèvres, je fis le tour du massif ; il était absolument désert. Je pensai que Sixte avait rêvé ou qu’il avait voulu se moquer de moi. Je connaissais mal la localité ; j’y avais passé maintes fois, je ne m’y étais jamais arrêté. Je montai doucement une pente gazonnée où je crus voir quelques traces de pas ; ces traces, déjà douteuses, disparurent entièrement. Je ne cherchais plus personne ; l’endroit était beau, je gagnai le sommet du massif, et j’y cueillis quelques fleurs assez rares qui poussaient là. Je pensai à Tonino, qui m’aimait ardemment, à Félicie, que je me promis bien de ne pas troubler du dépit insensé de Sixte More. Je pensai aussi à moi pour me demander si j’étais digne du bonheur que je goûtais. Je ne pouvais pas me reprocher de l’avoir conquis avec insolence et de m’être réjoui du dépit des autres. J’éprouvais cette sorte de mélancolie des gens modestes dans leurs ambitions, qui demande-