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dant nos semaines et nos mois de tête-à-tête, avait paru la convaincre, perdait toute action sur elle depuis que j’avais involontairement blessé son cœur et son amour-propre. Elle était comme anéantie moralement. On ne la réveillait qu’en la mettant aux prises avec les devoirs, les difficultés et les amusements de la vie matérielle. Elle y portait ce dévouement sans bornes qui était le grand côté de sa nature énergique.

Dès que je lui eus dit qu’il fallait assurer la liberté, la dignité et le bien-être du jeune couple :

— Eh ! sans doute, répondit-elle ; j’y ai bien songé, mais j’attendais votre encouragement. Au reste, tout est prêt. La grande laiterie du Vervalt, que j’ai donnée en dot à Tonino, n’est pas à fin de bail ; mais je sais que, pour une faible indemnité, le fermier nous la laisserait occuper tout de suite. Il y faut des réparations ; j’ai le bois tout débité sous les hangars, la pierre toute tirée dans la carrière. Je n’ai pas voulu dire cela aux jeunes gens. J’aurais souhaité qu’ils fussent plus humbles, et qu’au lieu d’attendre mes dons et mes soins comme une chose qui lui est due, Tonino me priât un peu ou me montrât quelque désir. Il n’a pas jugé à propos de le faire. Il a eu l’air de me dire que, du moment qu’il possédait une jeune et jolie femme bien éprise de lui, il n’avait plus besoin de rien sur la terre, et que je ne pouvais rien ajouter à son bonheur. Il a évité de me parler de ses projets : compte-t-il vendre la laiterie pour s’installer plus