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Il fallut me contenter de ces réponses évasives. Il est d’étranges natures que l’on ne confesse jamais, parce qu’elles ne savent pas rendre compte d’elles-mêmes. Je sentis en frémissant qu’il y avait encore là un abîme entre nous ; mais n’était-ce pas ma faute ? n’était-il pas creusé par moi ? n’était-ce pas mon pédantesque besoin de logique qui remplissait de glaces et d’épines le chemin de soleil et de fleurs où s’épanouit l’amour ? Pourquoi voulais-je absolument que Félicie n’eût jamais tort ? Ne pouvais-je accepter les défaillances d’une âme souffrante qui, en somme, se donnait à moi sans regret et sans réserve ? Étais-je un enfant, pour croire que je n’aurais jamais rien à lui pardonner ? ou étais-je si parfait moi-même, que j’eusse le droit d’exiger la perfection chez elle ?

Je me raisonnai, je me réprimandai. Je soumis ma rigide conscience du vrai à toutes les transactions que la tolérance et la bonté peuvent accorder. Je résolus d’accepter la situation telle que je venais de la faire, de garder Tonino près de nous et de passer outre. Je sentis bien que je renfermais au fond de mon cœur une plaie vive et que je ne la refermais pas. Il s’agissait de vivre avec ce mal sans en faire souffrir injustement les autres. Je me flattai d’avoir cette force, et je l’eus.

La destinée, la fatalité peut-être amena une diversion imprévue à mes secrètes agitations, et, cela, le jour même de l’arrivée de Tonino.

Vanina, la gardeuse de chèvres, avait grandi ; elle