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musicien pour donner des leçons comme le grand-père Monti ; je ne sais même pas le dur et triste métier de mon père. Je ne suis bon qu’à entrer berger dans quelque ferme. Eh bien, est-ce là un sort pour moi, et ma cousine souffrira-t-elle que je devienne valet aux gages d’un paysan ? Pourquoi m’a-t-elle pris chez elle ? pourquoi a-t-elle voulu m’élever à sa guise, m’inspirer de la fierté, me rendre intelligent et un peu artiste, si c’est pour m’abandonner à l’âge que j’ai ? Elle a parlé de me faire une pension ; pourquoi ? Je ne suis pas infirme, je veux travailler ; je rougirais de recevoir de l’argent pour me croiser les bras, et je ne dis pas que je ne deviendrais pas un bandit, si je me laissais payer pour ne rien faire. Pourquoi ne pas me souffrir ici ? Si ma présence vous gêne, qu’on me laisse construire un bon chalet dans les hauts ; qu’on me confie une belle vacherie, et je ne descendrai ici que quand on voudra. Je prendrai un ou deux petits gardeurs pour m’aider dans mon exploitation ; je cultiverai même un peu, si l’endroit n’est pas trop mauvais ; j’emporterai mon violon, vous me donnerez quelques livres à lire, et je ne m’ennuierai pas. Je gagnerai ma vie honnêtement, sans faire honte à personne et sans me faire honte à moi-même. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus facile ?

Tonino avait si parfaitement raison, que je ne pouvais trouver aucune objection. Il connaissait très-bien le commerce et l’élevage des bestiaux, et il aimait la