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geté du site. Il n’était pas rare de voir descendre une dentelure de glace tout auprès de nos figuiers chargés de fruits, ou de voir, au milieu de l’été, nos prairies altérées reverdir sous l’inondation passagère d’une fonte de neige.

Je menais toujours la même vie active et régulière. Tout le jour, je travaillais en faisant travailler ; tous les soirs, je trouvais mon repos et ma récompense dans le tête-à-tête avec mon intéressante et chère compagne. J’arrivais à me sentir plus heureux que je ne l’avais été de ma vie, et à croire à cette chimère qu’il y a quelque chose de durable en ce monde.

Il était convenu que nous nous marierions au printemps, et tout effroi s’était évanoui chez moi. Un soir, je trouvai Félicie en larmes :

— Mon pauvre oncle est mort, me dit-elle. Il n’était pas très-âgé ; mais son métier de tisserand dans un atelier humide l’avait tellement vieilli, qu’il n’a pu supporter une courte maladie. C’était un homme excellent et qui m’avait accueillie comme sa fille au temps de mon malheur. Me voilà seule au monde, mon ami ! je n’ai plus que vous…

Je partageai sa douleur tout en lui promettant de remplacer de mon mieux la famille qu’elle voyait impitoyablement moissonnée autour d’elle depuis un an. Je n’osai lui parler de Tonino ; j’attendais qu’elle me fît part de quelque projet relatif à ce jeune homme. Elle garda le silence le plus absolu sur son