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donc froisser ma vanité de vous plaire, amener une crise, me faire du mal en un mot et me mettre au défi ; alors, la leçon se grave dans ma mémoire si vivement qu’elle ne s’efface plus.

Je m’étonnais de cette résistance de l’être moral si différent en elle de l’être artiste. Celui-là ne se rendait qu’en se brisant, l’autre vibrait et se complétait au moindre souffle.

Pourtant il y avait, sous cette rudesse du caractère, des délicatesses exquises. C’était une situation difficile, dans les termes où nous étions, que de ne pas tomber dans l’égoïsme ; car Félicie sentait bien que, sans le malheur qui l’avait si brutalement frappée, j’aurais triomphé de mon amour pour elle, et certes j’allais devenir dans sa vie un appui plus direct et plus précieux encore pour elle que son excellent frère. Elle le sentait si vivement, que je craignis quelquefois l’explosion d’un sentiment de personnalité farouche Cette crainte ne se réalisa point. La douleur eut chez cette femme généreuse une austérité réelle, et, si elle fut tentée parfois d’oublier et de se réjouir, un énergique retour sur elle-même lui arracha des pleurs dont je devinai, mais dont elle ne trahit pas la cause.

Je compris quelle victoire elle remportait sur elle-même un jour qu’elle me dit :

— Vous voyez bien clairement mes défauts, et vous travaillez à me les ôter ; c’est un grand service que vous me rendez. Je suis à la fois honteuse et