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reviendrons, il sera fixé à Lugano auprès de son père. Je lui écrirai ce soir…

— Vous lui direz donc que nous nous marions ?

— Oui, je compte le lui dire et lui ôter toute espérance.

Ce dernier mot de Félicie me fut si amer, que je me hâtai de prendre congé d’elle pour ne pas laisser percer mon déplaisir. Tonino avait donc de l’espérance, elle lui en avait laissé concevoir ! Cette femme austère n’était pas vraiment chaste. Et pouvait-elle l’être ? Sa première faute, sur laquelle ma pensée ne s’était guère arrêtée jusque-là, m’apparut comme une véritable souillure, un délire précoce, un entraînement tout animal que la pudeur et la fierté n’avaient peut-être pas seulement songé à vaincre. Je me rappelai qu’en parlant de cette faute Félicie n’avait jamais montré de confusion ou de repentir véritable. Elle relevait la tête au contraire, et semblait menacer plutôt que rougir.

Le lendemain, j’étais triste et inquiet. Félicie, au contraire, était calme et comme ranimée par une grande résolution. Elle avait écrit à son cousin ; elle voulut me montrer la lettre, je refusai de la lire. Je craignais d’y trouver la confirmation de mes doutes et de n’avoir plus le courage de me dévouer. Je sentais bien qu’il fallait l’avoir, que je ne pouvais plus briser une âme que j’avais juré de guérir, enfin qu’il s’agissait pour moi non d’être heureux et tranquille, mais d’accepter toutes les conséquences de ma passion.