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comme je pourrai. Voilà cet enfant dont j’ai l’amitié, et qui, en outre, me trouve encore belle ; eh bien, voyons cette ivresse, faisons quelqu’un heureux, sauf à n’avoir que cette joie-là. Ce sera mieux que de me voir seule à jamais ; cela ne m’est plus possible. J’ai vécu treize ans seule, sans y songer ; mais, depuis que j’aime, c’est un songe affreux. Je ne peux pas le supporter davantage. Que quelqu’un m’éveille et me dise : « Voilà la vie, ce n’est pas ce que tu avais rêvé ; c’est peut-être mauvais, c’est peut-être pire que ta solitude, mais c’est la vie ! »

La franchise terrible de Félicie me faisait beaucoup de mal, tout en m’inspirant un grand respect pour sa loyauté courageuse. Je voulus aller jusqu’au bout de cette brûlante confession, et mes questions, calmes en apparence, l’engagèrent à continuer.

— J’ai donc songé à épouser cet enfant, reprit-elle. J’aurais voulu pouvoir m’y décider. Je n’ai pas pu. Il y a en moi une répugnance morale pour lui. Je ne l’estime pas beaucoup. Je sais ses défauts. Je crains ses plus innocentes caresses comme des insultes. Je le crois capable de devenir ingrat le jour où il n’aurait plus rien à désirer de son meilleur ami. Vous verrez qu’il oubliera Jean très-vite ; et puis il est faux : je n’ai jamais pu le corriger de cela. Enfin je le hais un peu depuis qu’il est amoureux de moi, et je ne saurais trop dire pourquoi. Il m’impatiente, il m’irrite. J’éprouve un soulagement et un repos quand je ne le vois plus, et, si vous me dites qu’il vous