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dans le passé, tous les habitants regrettaient sincèrement celui qu’ils avaient mainte fois blessé. Ils rendaient justice à ses immenses qualités. Après la cérémonie, un grand repas leur fut servi selon la coutume. Félicie veilla elle-même sans faiblir à tous les devoirs de l’hospitalité. Quand tout fut rentré dans le silence, elle pleura silencieusement, me serra chastement les mains, et se retira en me disant :

— Vous voyez, j’ai du courage !

Tonino était venu seul, sans que lui ni Jean eussent pu persuader à son père de l’accompagner, il y renonçait ; mais, dès le lendemain, Félicie lui ordonna de repartir.

— Tu n’as pas su faire ton devoir, lui dit-elle d’un ton sévère. Ton père a tout perdu en perdant son excellente femme. Tu auras beau lui donner de l’argent, c’est de l’amitié et de la société qu’il lui faut ; à son âge, on meurt quand on se trouve seul. Va-t’en le chercher, et dis-lui que j’irai le chercher moi-même s’il le faut. Je partirais avec toi, si je n’étais brisée de fatigue ; mais il ne faut pas que je tombe malade, j’ai encore des devoirs à remplir en ce monde.

Tonino résista. Il assurait que rien ne pourrait décider son père à se dépayser.

— Eh bien, reprit Félicie, si tu ne réussis pas, tu dois rester auprès de lui, je le veux.

Leur discussion s’animant, je ne sais par quel respect humain je ne voulus plus savoir quel sentiment poussait l’un et retenait l’autre devant cette sépara-