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à quelqu’un. Tenez, mon frère m’entend ! il est là, il nous voit ! Il voulait que nous fussions l’un à l’autre. Jurez que vous m’avez dit la vérité, et son âme sera contente ! Moi, je lui jure que je vivrai, que je continuerai ses travaux, que je donnerai son nom à cette terre, à cette île qui était son rêve, et que je ne manquerai plus de foi ni de volonté ! Il le veut ainsi, n’est-ce pas ? Si je mourais maintenant, il serait oublié ; son œuvre serait abandonnée. Aimez-moi, aimez-moi, ou tout est fini pour lui comme pour moi !

Je la pris dans mes bras et la remis sur sa selle en baisant ses genoux tremblants, en lui jurant qu’elle avait désormais le droit et le devoir de vivre. Nous partîmes au galop. Le surlendemain, Tonino arrivait avec le corps de Jean sur un chariot. Son cheval, attaché derrière, suivait, la tête basse. Une caisse renfermait un objet que Tonino cachait avec soin et enterra d’avance, durant la nuit, au lieu où Jean devait être enseveli. Je fus initié à ce secret étrange. Au moment où Jean s’était senti malade, il avait dit :

— Il faut tuer mon chien, il est dangereux, mais c’est malgré lui qu’il m’a mordu, et, si je dois en mourir, il faut qu’il soit enterré à mes pieds, je le veux.

Félicie avait retrouvé la vaillance austère de son énergie. On cacha le genre de mort du pauvre Jean ; toute la vallée vint assister avec respect à ses funérailles, et Félicie eut la consolation de voir que, malgré un peu de jalousie, de méfiance et de moquerie