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lui faire plaisir. Je donnerai tout mon argent, toutes mes terres, tous mes troupeaux à ma famille italienne. Ils seront heureux. Tonino se mariera ; je ne l’aime pas, moi ; je n’ai pas besoin de vivre pour lui ; vous voyez bien que j’ai le droit de mourir.

— Et si je vous aimais, moi, Félicie, si je vous aimais autant et plus que vous ne m’aimez ?

— L’amour ne se commande pas ; vous m’eussiez aimée plus tôt !

Mon secret m’échappa. Je ne sais plus comment je le lui confiai, ni comment j’expliquai la lutte soutenue contre moi-même. Je sais que je n’avouai point ma jalousie, que je ne prononçai pas seulement le nom de celui qui l’avait excitée. J’eusse rougi de m’en confesser, j’eusse cru outrager Félicie dans un moment où il fallait la relever à ses propres yeux ; mes soupçons, ajoutés à l’amertume de son malheur, eussent été pour elle, je le croyais ainsi, un nouveau calice. Elle ne les devina pas, elle m’écouta avec surprise, avec saisissement et sans m’interrompre ; puis elle se remit à sangloter, mais avec des larmes, cette fois, demandant pardon à Dieu et à son frère d’aimer encore quelqu’un sur la terre.

L’exaltation revint bientôt. Elle se leva et reprit machinalement la bride et l’étrier de son cheval en me disant :

— Partons ! L’idée du bonheur ne peut pas entrer à présent dans ma tête ; mais je sens le courage me revenir avec la pensée de pouvoir encore me dévouer