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ou d’insomnie. Peut-être fus-je piqué, moi, de son courage ou de son indifférence. Je m’aperçus d’une chose illogique et mauvaise qui se passait en moi ; j’aurais voulu qu’elle eût un grand chagrin. Je tâchais de m’excuser de mon injustice à mes propres yeux en me disant que ce chagrin sincère et profond eût banni mes craintes et désarmé ma prudence. Étais-je dans mon droit, n’y étais-je pas ? Je ne lisais plus bien clairement dans ma conscience, tant l’amour y avait déjà porté de trouble et soulevé de questions.

Peu de jours après avoir ainsi brûlé mes vaisseaux, je sentis un grand besoin de solitude, et l’occasion me servit. Les Morgeron avaient un procès qui durait depuis des années et qui leur mangeait de l’argent en pure perte. Comme ils s’en tourmentaient un peu, je me fis expliquer l’affaire et j’y trouvai une solution dont on ne s’était pas avisé encore. Pour la proposer et la faire accepter, il fallait aller à Sion. J’offris de m’y rendre, on accepta, je partis.

Je restai un mois absent, occupé tout le jour des intérêts de mes amis, et me promenant seul le soir dans la montagne. Là, je recouvrai le calme qui m’avait fui, et je me crus si bien guéri de l’amour, que je retournai avec joie à la Diablerette. De grands chagrins m’y attendaient.

Je trouvai Félicie si changée et si vieillie, que je me demandai si l’illusion de l’amour me l’avait fait trouver jeune et belle, ou si une profonde douleur avait fait sur elle, en un mois, l’ouvrage de plusieurs