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je n’avais que l’apparence fugitive, et je souhaitais presque qu’il en fût ainsi. Je la chérissais si réellement, que je craignais de ne pas mériter son amour, et j’aurais voulu qu’elle me demandât de lui sacrifier le mien, afin de lui offrir une amitié digne d’elle. L’amour est toujours égoïste, quoi qu’il fasse. Je m’effrayais de moi-même dans un sentiment si peu prévu. J’étais bien plus sûr d’être un bon et tendre père qu’un époux aimable.

Je pensais tout cela en prenant quelques instants de repos dans une ravine où je travaillais seul, au-dessus de l’habitation. Une voix suave monta jusqu’à moi. C’était celle de ce violon magique qu’elle faisait si rarement et si divinement chanter. Elle disait je ne sais quel air peut-être inédit d’un vieux maître ; c’était peut-être une pensée musicale du vieux Monti religieusement gravée dans la mémoire de sa petite fille. Quant à moi, je l’interprétai comme une réponse à mes perplexités, j’y adaptai des idées et des paroles. Selon moi, ce chant me parlait, il me disait : « Pauvre homme de réflexion timide et d’expérience amère, tu ne sais rien, tu ne comprends pas ! Écoute la voix de l’artiste, lui seul connaît la vérité, car il connaît l’amour. Il a le feu sacré qui ne daigne pas répondre aux cas de conscience ; le feu ne raisonne pas, il consume. Il ne s’explique pas plus que Dieu : il éclaire et embrase. Écoute comme ma note est pure et forte ! Devant elle, toutes les notes de la nature font silence. C’est une note qui monte aux astres et