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pu le dire ; mais bien certainement Tonino se plaçait, à dessein ou non, entre elle et mon premier mouvement.

Je m’observai si bien ce soir et les jours suivants, qu’elle dut croire que je n’avais rien deviné. Sachant bien que Tonino lui rapporterait toutes mes paroles, je m’étais abstenu de répondre à ses ouvertures. J’avais feint de croire qu’il les prenait, comme on dit, sous son bonnet. Il y avait tant d’ouvrage à faire et à surveiller au bord du torrent, qu’il me fut aisé de distraire Jean Morgeron de ses préoccupations matrimoniales à mon endroit. Je maniai avec rage la pelle et la pioche pour m’en distraire moi-même. Il me semblait devoir laisser à Félicie l’initiative absolue d’une affaire aussi délicate que celle de notre union.

Et, malgré ce stoïcisme, je l’aimais vivement, tendrement, passionnément peut-être ! Quand elle venait donner un coup d’œil à nos travaux, je la sentais s’approcher avant de l’avoir aperçue. Quelquefois aussi je rêvais qu’elle allait venir, qu’elle était venue, et le cœur me battait si fort, que je ne pouvais plus soulever la terre et briser le roc. Je me retournais avec impatience, mon âme la sommait d’arriver, je m’alarmais presque qu’elle ne fût pas là.

Un jour, j’eus avec elle un entretien bien mystérieux. Je pensais à elle. Je me demandais si c’était bien moi qu’elle pouvait aimer, si elle persistait à croire que j’eusse seulement dix ans de plus qu’elle, si je ne lui paraissais pas réaliser quelque idéal dont