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pris une résolution franche. J’appelai Tonino, je me promenai deux heures avec lui ; je mis en œuvre tout ce que j’avais de prudence et de perspicacité pour connaître le mystère de sa pensée.

C’était une nature au moins aussi anormale que celle de Félicie. Il était bien Italien en ce qu’il savait allier la passion à la ruse ; mais, transplanté dans ce milieu champêtre, couvé et dirigé par l’intelligence à beaucoup d’égards supérieure de Félicie, il avait sinon des instincts, du moins des sentiments généreux. Il alla au-devant de mes questions en me parlant comme Jean m’avait parlé. Seulement, il me parut faire des réserves que Jean n’avait pas faites. Il ne sembla pas supposer que Félicie put être éprise de quelqu’un, de mes cinquante ans par conséquent. Fut-ce respect pour elle, dédain pour moi, le mot d’amour n’arriva pas jusqu’à ses lèvres.

— Il faut épouser la cousine, me dit-il, ce sera un bonheur pour vous deux. C’est une tête si raisonnable, qu’elle ne pourrait pas vivre avec un jeune mari, et, vous, à l’âge que vous avez, vous ne supporteriez pas les envies et les caquets d’une jeune fille. Elle est aussi bonne que vous êtes bon, pas si douce, mais aussi humaine et aussi généreuse. Vous voyez bien qu’elle a trop d’esprit et d’éducation pour un paysan ! J’ai eu peur qu’elle ne se laissât persuader d’épouser Sixte More, qui venait souvent ici il y a deux ans et que le patron protégeait auprès d’elle. Dans ce temps-là, j’avais du chagrin. Je craignais d’avoir un maître