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reste pas moins du merveilleux dans cette maison-là. De tout temps, il s’est passé au château des Désertes des choses que la pauvre monde comme moi ne peut pas comprendre. D’abord, on dit que tous les Balma sont sorciers de père en fils, et l’on me dirait que l’aînée des demoiselles en tient, que cela ne m’étonnerait pas, car elle ne parle pas et n’agit pas comme tout le monde : elle ne va pas du tout vêtue selon son rang, elle ne porte ni plumes à son chapeau ni cachemires, comme les dames riches du pays ; elle a la figure si blanche, qu’on dirait qu’elle est morte. Les deux autres demoiselles sont un peu plus élégantes et paraissent plus gaies ; mais l’aîné des jeunes gens a l’air d’un vrai fou : on l’entend parler tout seul, et on le voit faire des gestes qui font peur. Quant à M. le marquis, tout charitable qu’il est, il a l’air bien malin. Enfin, Monsieur, vous me croirez si vous voulez, mais les domestiques du château ont peur et sont fort aises qu’on les renvoie à sept heures du soir, en leur permettant d’aller faire la veillée et coucher dans le village, où ils ont tous leur famille, car ce marquis n’a amené avec lui aucun serviteur étranger qu’on puisse faire parler. Tous ceux qui sont employés au château sont pris à la journée, parce qu’on a renvoyé tous les anciens. Cela fait que, pendant douze heures de nuit, personne ne peut savoir ce qui se passe dans la maison.

— Et pourquoi suppose-t-on qu’il s’y passe quelque chose ? Peut-être que ces Balma sont tout simplement de grands dormeurs qui craignent le bruit de l’office.

— Oh ! que non, Monsieur ! Ils ne dorment pas. Ils s’en vont dans tout le château, montant, descendant, traversant les vieilles galeries, s’arrêtant dans des chambres qui n’ont pas été habitées depuis cent ans peut-être. Ils remuent les meubles, les transportent d’un coin à l’autre, parlent, crient, chantent, rient, pleurent,