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une maison où il y a toujours eu de gros secrets, par rapport surtout à M. le marquis actuel. Du temps de l’autre, est-ce qu’on savait quelque chose de clair sur celui d’à présent. Que ne disait-on pas ? M. le marquis a eu un frère qui est mort aux Indes, disaient les uns. D’autres disaient au contraire : Le frère puiné* de M. le marquis n’est pas si mort ni si éloigné qu’on croit ; mais il a changé de nom, parce qu’il a fait des folies, des dettes qu’il ne peut payer, et il y a bien cinquante ans que monsieur ne veut pas le voir. Les uns disaient encore : Il ne peut pas lui pardonner sa mauvaise conduite, mais il lui envoie de l’argent de temps en temps en cachette. Et les autres répondaient : Il ne lui envoie rien du tout. Il a le cœur trop dur pour cela. Le pire des deux n’est pas celui qu’on pense.

— Et ne peut-on éclaircir cette histoire ? demandai-je. Personne, dans le pays, n’est-il mieux renseigné que vous ? Il est étrange qu’un membre d’une grande famille sorte ainsi de dessous terre.

— Monsieur, dit la vieille, on ne peut rien savoir de ces gens-là. Moi, voilà ce que je sais, ce que j’ai vu dans ma jeunesse. Il y avait deux frères du nom de Balma, famille piémontaise bien anciennement établie dans le pays. L’aîné était fort sage, mais pas de très-bon cœur, cela est certain. Le cadet était une diable de tête, mais il n’était pas fier. Il n’avait rien à lui, et je n’ai point vu d’enfant si aimable et si joli. Les Balma ont vécu longtemps hors du pays. Un beau jour, l’aîné vint prendre possession de son domaine et habiter son château, sans vouloir permettre qu’on lui fit une pauvre question, et mettant à la porte quiconque se montrait curieux du sort de son frère. Cet aîné a vécu jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans sans se marier, sans adopter personne, sans souffrir un seul parent près de lui. Il est mort sans