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trouvé sa jeune ménagère au travail, bien gaie, bien sage, bien pure (cela se voyait à la joie franche qu’elle montra en lui sautant au cou), il n’y eut sorte de fête qu’il ne me fit : ils se mirent en quatre, sa femme et lui, pour me préparer un meilleur repas que celui que j’aurais pu faire à l’auberge du hameau, et, comme je leur disais que tant de soin n’était pas nécessaire pour me contenter, ils jurèrent naïvement que cela ne me regardait pas, c’est-à-dire qu’ils voulaient me traiter et m’héberger gratis.

Je les laissai à leur fricassée entremêlée de doux propos et de gros baisers, pour aller admirer le site environnant. Il était simple et superbe. Des collines escarpées servant de premier échelon aux grandes montagnes des Alpes, toutes couvertes de sapins et de mélèzes, encadraient la vallée et la préservaient des vents du nord et de l’est. Au-dessus du hameau, à mi-côte de la colline la plus rapprochée et la plus adoucie, s’élevait un vieux et fier château, une des anciennes défenses de la frontière probablement, demeure paisible et confortable désormais, car je voyais au ton frais des châssis de croisées en bois de chêne, encadrant de longues vitres bien claires, que l’antique manoir était habite par des propriétaires fort civilisés. Un parc immense, jeté noblement sur la pente de la colline et masquant ses froides lignes de clôture sous un luxe de végétation chaque jour plus rare en France, formait un des accidents les plus heureux du tableau. Malgré la rigueur de la saison (nous étions à la fin de janvier, et la terre était couverte de frimas), la soirée était douce et riante. Le ciel avait ces tons rose vif qui sont propres aux beaux temps de gelée ; les horizons neigeux brillaient comme de l’argent, et des nuages doux, couleur de perle, attendaient le soleil qui descendait lentement pour s’y plonger. Avant de s’envelopper