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pureté de l’âme et flétrit le sanctuaire de la pensée. Je suis actrice depuis trois ans, je le serai tant qu’il plaira à Dieu. Ce que je souffre de cette contrainte de tous mes goûts, de cette violation de tous mes instincts, je ne le dis à personne. A quoi bon se plaindre ? chacun n’a-t-il pas son fardeau ? J’ai la force de porter le mien : je fais mon métier en conscience. J’aime l’art, je mentirais si je n’avouais pas que je l’aime de passion ; mais j’aurais aimé à cultiver le mien dans des conditions toutes différentes. J’étais née pour tenir l’orgue dans un couvent de nonnes et pour chanter la prière du soir aux échos profonds et mystérieux d’un cloître. Qu’importe ? ne parlons plus de moi, c’est trop !

La Boccaferri essuya rapidement une larme furtive et me tendit la main en souriant. Je me sentis hors de moi. Mon heure était venue : j’aimais !


IV. — FLÂNERIE.

Elle s’était levée pour partir ; elle ramena son châle sur ses épaules. Elle était mal mise, affreusement mise, comme une actrice pauvre et fatiguée, qui s’est débarrassée à la hâte de son costume et qui s’enveloppe avec joie d’une robe de chambre chaude et ample pour s’en aller à pied par les rues. Elle avait un voile noir très-fané sur la tête et de gros souliers aux pieds, parce que le temps était à la pluie. Elle cachait ses jolies mains (je me rappelle ce détail exactement) dans de vilains gants tricotés. Elle était très pâle, même un peu jaune, comme j’ai remarqué depuis qu’elle le devenait quand on la forçait à remuer la cendre qui couvrait le feu de son âme. Probablement elle eût été moins belle que laide pour tout autre que moi en ce moment-là.