Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/48

Cette page n’a pas encore été corrigée

ni de puissance à dépenser pour la satisfaction de mes fantaisies personnelles.

— Oh ! oui, je vous comprends, m’écriai-je, une vie toute d’abnégation et de dévouement ! Si vous êtes au théâtre, ce n’est point pour vous. Vous n’aimez pas le théâtre, vous ! cela se voit, vous n’aspirez pas au succès. Vous dédaignez la gloriole ; vous travaillez pour les autres.

— Je travaille pour mon père, reprit-elle, et c’est encore grâce à la Floriani que je peux travailler ainsi. Sans elle, je serais restée ce que j’étais, une pauvre petite ouvrière à la journée, gagnant à peine un morceau de pain pour empêcher son père de mendier dans les mauvais jours. Elle m’entendit une fois par hasard, et trouva ma voix agréable. Elle me dit que je pouvais chanter dans les salons, même au théâtre, les seconds rôles. Elle me donna un professeur excellent ; je fis de mon mieux. Je n’étais déjà plus jeune, j’avais vingt six ans, et j’avais déjà beaucoup souffert ; mais je n’aspirais point au premier rang, et cela fit que je parvins rapidement à pouvoir occuper le second. J’avais l’horreur du théâtre. Mon père y travaillant comme acteur, comme décorateur, comme souffleur même (il y a rempli tous les emplois, selon les jeux du hasard et de la fortune), je connaissais de bonne heure cette sentine d’impuretés où nulle fille ne peut se préserver de souillure, à moins d’être une martyre volontaire. J’hésitai longtemps ; je donnais des leçons, je chantais dans les concerts ; mais il n’y avait là rien d’assuré. Je manque d’audace, je n’entends rien à l’intrigue. Ma clientèle, fort bornée et fort modeste, m’échappait à tout moment. La Floriani mourut presque subitement. Je sentis que mon père n’avait plus que moi pour appui. Je franchis le pas, je surmontai mon aversion pour ce contact avec le public, qui viole la