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main, assez ferme, légèrement attiédie et particulièrement calme, tout en plongeant dans les yeux noirs, grands et graves de la cantatrice ; mais l’œil et la main d’une femme ne se pénètrent pas si aisément que ceux d’un homme. Ma science d’observation et ma délicatesse de perceptions m’ont souvent trahi ou éclairé selon le sexe.

Par un mouvement très-naturel pour relever son châle, la Boccaferri me retira sa main dès que nous fûmes seuls, mais sans détourner son regard du mien.

— Monsieur Salentini, dit-elle, vous faites la cour à la duchesse de X… et vous avez été jaloux de Célio ; mais vous ne l’êtes plus, n’est-ce pas ? vous sentez bien que vous n’avez pas sujet de l’être.

— Je ne suis pas du tout certain que je n’eusse pas sujet d’être jaloux de Célio, si je faisais la cour à la duchesse, répondis-je en me rapprochant un peu de la Boccaferri ; mais je puis vous jurer que je ne suis pas jaloux, parce que je n’aime pas cette femme.

Cécilia baissa les yeux, mais avec une expression de dignité et non de trouble.— Je ne vous demande pas vos secrets, dit-elle, je n’ai pas cette indiscrétion. Rien là dedans ne peut exciter ma curiosité ; mais je vous parle franchement. Je donnerais ma vie pour Célio ; je sais que certaines femmes du monde sont très-dangereuses. Je l’ai vu avec peine aller chez quelques-unes, j’ai prévu que sa beauté lui serait funeste, et peut-être son malheur d’aujourd’hui est-il le résultat de quelques intrigues de coquettes, de quelques jalousies fomentées à dessein…. Vous connaissez le monde mieux que moi ; mais j’y vais quelquefois chanter, et j’observe sans en avoir l’air. Eh bien, j’ai vu ce soir Célio chuté par des gens qui lui promettaient chaudement hier de l’applaudir, et j’ai cru comprendre certains petits drames dans les loges qui nous