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reprendre parti pour Célio. Je n’ai pas vu qu’il manquât de conscience, ce beau jeune homme ; il a manqué de bonheur, voilà tout.

— Il a manqué à ce qu’il y a de plus sacré, repris-je froidement ; il a manqué à l’amour et au respect de son art. Il a mérité que le public l’en punit, quoique le public ait rarement de ces instincts de justice et de fierté. Consolez-vous pourtant, Madame, son succès n’a tenu qu’à un fil, et, en procédant par l’audace et le contentement de soi-même, un artiste peut toujours être applaudi, faire des dupes, voire des victimes ; mais moi, qui vois très-clair et qui suis tout à fait impartial dans la question, j’ai compris que l’absence de charme et de puissance de ce jeune homme tenait à sa vanité, à son besoin d’être admiré, à son peu d’amour pour l’œuvre qu’il chantait, à son manque de respect pour l’esprit et les traditions de son rôle. Il s’est nourri toute sa vie, j’en suis sûr, de l’idée qu’il ne pouvait faillir et qu’il avait le don de s’imposer. Probablement c’est un enfant gâté. Il est joli, intelligent, gracieux ; sa mère a dû être son esclave, et toutes les dames qu’il fréquente doivent l’enivrer de voluptés. Celle de la louange est la plus mortelle de toutes. Aussi s’est-il présenté devant le public comme une coquette effrontée qui éclabousse le pauvre monde du haut de son équipage. Personne n’a pu nier qu’il fût jeune, beau et brillant ; mais on s’est mis à le haïr, parce qu’on a senti dans son maintien quelque chose de la coquette. Oui, coquette est le mot. Savez-vous ce que c’est qu’une coquette, madame la duchesse ?

— Je ne le sais pas, monsieur Salentini ; mais vous, vous le savez, sans doute ?

— Une coquette, repris-je sans me laisser troubler par son air de dédain, c’est une femme qui fait par vanité ce que la courtisane fait par cupidité ; c’est un être qui fait