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docte et si subtil en fait de musique ! Pourquoi est-ce la première fois que vous en parlez si bien ? J’aurais toujours été de votre avis… en théorie, car vous faites une mauvaise application en ce moment. La pauvre Boccaferri a précisément une de ces voix usées et flétries qui ne peuvent plus chanter.

— Et pourtant, repris-je avec fermeté, elle chante toujours, elle ne fait que chanter ; elle ne crie et ne suffoque jamais, et c’est pour cela que le public frivole ne fait point d’attention à elle. Croyez-vous qu’elle soit si peu habile qu’elle ne pût viser à l’effet tout comme une autre, et remplacer l’art par l’artifice, si elle daignait abaisser son âme et sa science jusque-là ? Que demain elle se lasse de passer inaperçue et qu’elle veuille agir sur la fibre nerveuse de son auditoire par des cris, elle éclipsera ses rivales, je n’en doute pas. Son organe, voilé d’habitude, est précisément de ceux qui s’éclaircissent par un effort physique, et qui vibrent puissamment quand le chanteur veut sacrifier le charme à l’étonnement, la vérité à l’effet.

— Mais alors, convenez-en vous-même, que lui reste-t-il, si elle n’a ni le courage et la volonté de produire l’effet par un certain artifice, ni la santé de l’organe qui possède le charme naturel ? Elle n’agit ni sur l’imagination trompée, ni sur l’oreille satisfaite, cette pauvre fille ! Elle dit proprement ce qui est écrit dans son rôle ; elle ne choque jamais, elle ne dérange rien. Elle est musicienne, j’en conviens, et utile dans l’ensemble ; mais, seule, elle est nulle. Qu’elle entre, qu’elle sorte, le théâtre est toujours vide quand elle le traverse de ses bouts de rôle et de ses petites phrases perlées.

— Voilà ce que je nie, et, pour mon compte, je sens qu’elle remplit, non pas seulement le théâtre de sa présence, mais qu’elle pénètre et anime l’opéra de son intelligence.