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ans d’étude qu’il faut encore à ce chanteur-là ! Le théâtre est un autre lieu d’épreuve que l’auditoire bienveillant de la vie privée. J’aurais pourtant cru qu’il s’en serait mieux tiré. Pauvre Floriani, comme elle eùt souffert si cela se fût passé de son vivant ! Mais qu’avez-vous donc, monsieur Salentini ? On dirait que vous avez pris tant d’intérêt à ce début, que vous vous sentez consterné de la chute ?

— Je n’y songeais pas, Madame, répondis-je ; je regardais et j’écoutais mademoiselle Boccaferri, qui vient de dire admirablement bien une toute petite phrase fort simple.

— Ah ! bah ! vous écoutez la Boccaferri, vous ? Je ne lui fais pas tant d’honneur. Je n’ai jamais su ce qu’elle disait mal ou bien.

— Je ne vous crois pas, Madame ; vous êtes trop bonne musicienne et trop artiste pour n’avoir pas mille fois remarqué qu’elle chante comme un ange.

— Rien que cela ! À qui en avez-vous, Salentini ? Est-ce vraiment de la Boccaferri que vous me parlez ? J’ai mal entendu, sans doute.

— Vous avez fort bien entendu, Madame ; Cecilia Boccaferri est une personne accomplie et une artiste du plus grand mérite. C’est votre doute à cet égard qui m’étonne.

— Oui-da ! vous êtes facétieux aujourd’hui, reprit la duchesse sans se déconcerter.

Elle était charmée de me supposer du dépit ; elle était loin de croire que je fusse parfaitement calme et détaché d’elle, ou au moment de l’être.

— Non, Madame, repris-je, je ne plaisante pas. J’ai toujours fait grand cas des talents qui se respectent et qui se tiennent, sans aigreur, sans dégoût et sans folle ambition, à la place que le jugement public leur assigne.