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Je fus effrayé de l’expression de sa figure. Le Célio que j’avais connu à Vienne reparaissait tout entier et me jetait dans une stupéfaction douloureuse. Il s’en aperçut, sourit et me dit : — Je crois que je redeviens méchant ! Allons rejoindre la famille, cela se dissipera. Parfois mes nerfs me jouent encore de mauvais tours. Tiens, j’ai froid ! Allons-nous-en. Il prit mon bras et rentra en courant.

A deux heures, toute la famille se réunit dans le grand salon. Le marquis donna, comme de coutume, à ses gens, l’ordre qu’on ne le dérangeât plus jusqu’au dîner, à moins d’un motif important, et que, dans ce cas, on sonnât la cloche du château pour l’avertir. Puis il demanda aux jeunes filles si elles avaient pris l’air et surveillé la maison ; à Benjamin, s’il avait travaillé, et, quand chacun lui eut rendu compte de l’emploi de sa matinée : — C’est bien, dit-il ; la première condition de la liberté et de la santé morale et intellectuelle, c’est l’ordre dans l’arrangement de la vie ; mais, hélas ! pour avoir de l’ordre, il faut être riche. Les malheureux sont forcés de ne jamais savoir ce qu’ils feront dans une heure ! A présent, mes chers enfants, vive la joie ! La journée d’affaires et de soucis est terminée ; la soirée de plaisir et d’art commence. Suivez-moi.

Il tira de sa poche une grande clé, et l’éleva en l’air, aux rires et aux acclamations des enfants. Puis, nous nous dirigeâmes avec lui vers l’aile du château où était situé le théâtre. On ouvrit la porte d’ivoire, comme l’appelait le marquis, et on entra dans le sanctuaire des songes, après s’y être enfermés et barricadés d’importance.

Le premier soin fut de ranger le théâtre, d’y remettre de l’ordre et de la propreté, de réunir, de secouer et d’étiqueter les costumes abandonnés à la hâte, la nuit précédente, sur des fauteuils. Les hommes balayaient,