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du fantastique à la réalité, sans transition : — Pardieu ! que le diable vous emporte ! vous m’avez fait manquer la partie culminante du drame ; j’ai été plus froid que la statue, quand je devais être terrifié et terrifiant. Boccaferri ne comprendra pas pourquoi j’ai été aussi mauvais ce soir que sur le théâtre impérial de Vienne. Mais moi, je vais vous le dire. Vous regardez trop la Boccaferri, et cela me fait mal. Don Juan jaloux, c’est impossible ; cela fait penser qu’il peut être amoureux, et cela n’est point compatible avec le rôle que j’ai joué ce soir ici et jusqu’à présent dans la vie réelle.

— Où voulez-vous en venir, Célio ? répondis-je. Est-ce une querelle, un défi, une déclaration de guerre ? Parlez, je fais appel à la vertu qui m’a fait votre ami presque sans vous connaître, à votre franchise !

— Non, dit-il, ce n’est rien de tout cela. Si j’écoutais mon instinct, je vous tordrais le cou dans cette cave. Mais je sens que je serais odieux et ridicule de vous haïr, et je veux sincèrement et loyalement vous accepter pour rival et pour ami quand même. C’est moi qui vous ai attiré ici de mon propre mouvement et sans consulter personne. Je confesse que je vous croyais au mieux avec la duchesse de N…, car j’étais à Turin, il y a trois jours, avec Cécilia. Personne, dans ce village et dans la ville de Turin, n’a su notre voyage. Mais nous, dans les vingt-quatre heures que nous avons été près de vous sans pouvoir aller vous serrer la main, nous avons appris, malgré nous, bien des choses. Je vous ai cru retombé dans les filets de Cirée ; je vous ai plaint sincèrement, et, comme nous passions devant votre logement pour sortir de la ville, à cinq heures du matin, Cécilia vous a chanté quelques phrases de Mozart en guise d’éternel adieu. Malheureusement elle a choisi un air et des paroles qui ressemblaient à un appel plus qu’à une formulé d’abandon,