Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

sacré qui me rajeunit et qui m’a consumé en vain jusqu’ici, faute d’aliments à mon usage. Je ne regretterai pas d’avoir échoué toute ma vie, en toutes choses, d’avoir été aux prises avec la misère jusqu’à être forcé d’échapper au suicide par l’ivresse ! Non, je ne me plaindrai de rien dans mon triste passé, si la vivace postérité de la Floriani élève son triomphe sur mes débris, si Célio, son frère et ses sœurs réalisent le rêve de leur mère, et si le pauvre vieux Boccaferri peut s’acquitter ainsi envers la mémoire de cet ange !

— Tu as raison, ami, répondit Célio, c’était le rêve de ma mère de nous voir grands artistes ; mais pour cela, disait-elle, il fallait renouveler l’art. Nous comprenons aujourd’hui, grâce à toi, ce qu’elle voulait dire ; nous comprenons aussi pourquoi elle prit sa retraite à trente ans, dans tout l’éclat de sa force et de son génie, c’est-à-dire pourquoi elle était déjà dégoûtée du théâtre et privée d’illusions. Je ne sais si nous ferons faire un progrès à l’esprit humain sous ce rapport ; mais nous le tenterons, et, quoi qu’il arrive, nous bénirons tes enseignements, nous rapporterons à toi toutes nos jouissances ; car nous en aurons de grandes, et si les goûts exquis que tu nous donnes nous exposent à souffrir plus souvent du contact des mauvaises choses, du moins, quand nous toucherons aux grandes, nous les sentirons plus vivement que le vulgaire.

Nous passâmes au troisième acte, qui était emprunté presque en entier au libretto italien. C’était une fête champêtre donnée par don Juan à ses vassaux et à ses voisins de campagne dans les jardins de son château. J’admirai avec quelle adresse le scénario de Boccaferri déguisait les impossibilités d’une mise en scène où manquaient les comparses. La foule était toujours censée se mouvoir et agir autour de la scène où elle n’entrait jamais,