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tourné vers nous, et dont le public, placé de côté, aperçoit toujours une partie.

Il est vrai que nous employons ici, pour notre propre satisfaction, des moyens naïfs dont le charme serait perdu sur un grand théâtre. Nous plantons de vrais arbres sur nos planchers et nous mettons de vrais rochers jusqu’au fond de notre scène. Nous le pouvons, parce qu’elle est petite, nous le devons même, parce que les grands moyens de la perspective nous sont interdits. Nous n’aurions pas assez de distance pour qu’ils nous fissent illusion à nous-mêmes, et le jour où nous manquerons de l’illusion de la vue, celle de l’esprit nous manquera. Tout se tient : l’art est homogène, c’est un résumé magnifique de l’ébranlement de toutes nos facultés. Le théâtre est ce résumé par excellence, et voilà pourquoi il n’y a ni vrai théâtre, ni acteurs vrais, ou fort peu, et ceux-là qui le sont ne sont pas toujours compris, parce qu’ils se trouvent enchâssés comme des perles fines au milieu de diamants faux dont l’éclat brutal les efface.

Il y a peu d’acteurs vrais, et tous devraient l’être ! Qu’est-ce qu’un acteur, sans cette première condition essentielle et vitale de son art ? On ne devrait distinguer le talent de la médiocrité que par le plus ou moins d élévation d’esprit des personnes. Un homme de cœur et d’intelligence serait forcément un grand acteur, si les règles de l’art étaient connues et observées ; au lieu qu’on voit souvent le contraire. Une femme belle, intelligente, généreuse dans ses passions, exercée à la grâce libre et naturelle, ne pourrait pas être au second rang, comme l’a toujours été ma fille, qui n’a pas pu développer sur la scène l’âme et le génie qu’elle a dans la vie réelle. Faute de se trouver dans un milieu assez artiste pour l’impressionner, elle a toujours été glacée par le théâtre, et vous