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Je n’attendis pas longtemps. Don Juan et Leporello sortirent du massif derrière moi, et se mirent à causer. Leurs costumes, admirables de vérité, de bon goût et d’exactitude, ne me permirent pas de reconnaître tout de suite les acteurs, car Leporello surtout était rajeuni de trente ans. Il avait la taille leste, la jambe ferme, une barbe noire taillée en collier andalous, une résille qui cachait son front ridé ; mais, à sa voix, pouvais-je hésiter un instant ? C’était le vieux Boccaferri devenu un acteur élégant et alerte.

Mais ce beau don Juan, ce fier et poétique jeune homme qui s’appuyait négligemment sur mon piédestal, sans daigner tourner vers moi son visage, ombragé d’une *d’une perruque blonde et d’un large feutre Louis XIII, à plume blanche, quel était-il donc ? Son riche vêtement semblait emprunté à un portrait de famille. Ce n’était point un costume de fantaisie, un composé de chiffons et de clinquant : c’était un véritable pourpoint de velours aussi court que le portaient les dandys de l’époque, avec des braies aussi larges, des passements aussi raides, des rubans aussi riches et aussi souples. Rien n’y sentait la boutique, le magasin de costumes, l’arrangement infidèle par lequel l’acteur transige avec les bourgeoises du public en modifiant l’extravagance ou l’exagération des anciennes modes, c’était la première fois que j’avais sous les yeux un vrai personnage historique dans son vrai costume et dans sa manière de le porter. Pour moi, peintre, c’était une bonne fortune. Le jeune homme était svelte et fait au tour. Il se dandinait comme un paon, et me donnait une idée beaucoup plus juste de don Juan que ne me l’eût donnée le beau Célio lui-même sur les planches, car Célio y eût voulu mettre quelque chose de hautain et de tragique qui outrepasse la donnée du caractère… Mais tout à coup, sur une observation poltronne