Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/308

Cette page n’a pas encore été corrigée

rer, ensevelir pour jamais celui qui avait rempli ma vie de courage, d’honneur et de travail. Cet homme que j’aimais depuis mon enfance, qui m’avait aimée si saintement malgré la légèreté de ses mœurs, qui me vénérait comme une divinité et qui ne m’aimait pas parce qu’il m’aimait trop, il fallait ne jamais le revoir. Cet immense respect qu’il avait eu pour moi, il ne l’aurait plus pour personne. Ce dévouement à toute épreuve que j’avais eu pour lui, dans quel cœur de femme le retrouverait-il ? Quand on parlait à une autre d’aimer Bellamare, elle riait ! Moi seule étais assez obstinée pour vouloir être la compagne de sa misère, le soutien de sa vieillesse, la réhabilitation de sa laideur. Moi seule, qui ne lui avais jamais inspiré de désirs, je connaissais le côté chaste, religieux et vraiment grand de cette âme mobile, ardemment éprise d’idéal. Je voyais son front se dégarnir, ses yeux se creuser, son rire devenir moins franc, et des moments de lassitude profonde qui rendaient son jeu moins net, ses accès de sensibilité plus nerveux, parfois fantasques. Bellamare sentait les premières atteintes du découragement, car il me pressait d’épouser Laurence, et moi, je sentais en lui une sorte de désespoir, comme