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» Je baissai la tête ; mais, quand je voulus rendre cette réponse à Bellamare, il sut à peine de quoi je lui parlais. Il avait oublié sa fantaisie. Il riait du mariage, il se déclarait incapable d’avoir une femme fidèle, parce qu’il eût fallu prêcher d’exemple. Il disait qu’en me parlant d’Anna la veille, il était complètement grisé par le rôle de mari qu’il venait de jouer dans la Gabrielle d’Émile Augier. Il avait rêvé famille, il adorait les marmots. Il n’en avait jamais eu. C’est pourquoi il pensait au mariage au moins une fois tous les dix ans.

» Je me trouvai bien folle et bien humiliée. Je jurai qu’il ne se douterait jamais de mon amour. Laurence arriva sur ces entrefaites, et sa passion m’étourdit. Je sentis que j’étais femme, que j’étais seule à jamais dans la vie, que le bonheur venait peut-être à moi, que mon refus était injuste et cruel, que j’allais briser le cœur le plus généreux, le plus fidèle et le plus pur. Je faillis dire : « Oui, partons ensemble ! »

» Mais cela ne dura qu’un instant, car, pendant que Laurence me parlait, je voyais Bellamare errer de loin dans une attitude brisée, et je me disais qu’en me donnant à un autre amour il fallait abju-