Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

par le génie de l’inspiration ces mornes géants de pierre et cette implacable fureur des flots. Il m’était indifférent de mourir, pourvu que j’eusse eu le temps de composer un chef-d’œuvre et de le graver sur le rocher.

— Et ce chef-d’œuvre, tu l’as fait ? m’écriai-je. Tu vas nous le dire !

— Hélas ! répondit Léon, j’ai cru le faire ! N’ayant plus la force d’écorcher la roche avec un canif, je l’ai écrit sur mon album. Je l’ai gardé précieusement sur ma poitrine durant les jours d’hébétement qui ont suivi notre délivrance. J’essayais de le relire en cachette ; je ne le comprenais pas, et je me persuadais que c’était par suite de l’état de faiblesse physique où j’étais tombé. Quand je me suis senti guéri et rassuré, chez le prince Klémenti, j’ai constaté avec épouvante que mes vers n’étaient pas des vers. Il n’y avait ni nombre, ni rime, l’idée même n’avait aucun sens. C’était le produit d’une complète aliénation mentale. Je m’en suis consolé en me disant que cette fureur de rimer jusque dans l’agonie m’avait, du moins, rendu insensible à la souffrance et supérieur au désespoir.

— Mes enfants, dit Bellamare, si nous ne re-