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nous dit Léon. Il y sera toujours plus terrible et plus beau que la vision réelle ne nous le rendrait.

— Plus beau ! s’écria Régine : tu l’as trouvé beau, toi ? Les poètes sont-ils assez fous !

— Non, reprit Léon, les poètes sont sages, ils sont même les seuls sages qui existent. Quand les autres s’inquiètent et s’effrayent, ils rêvent et contemplent ; tout en souffrant, ils voient : ils ont, jusqu’à la dernière heure, la jouissance de regarder et d’apprécier. Oui, mes amis, c’était un lieu splendide, et jamais je n’ai si bien compris la fascination de la mer que durant cette semaine d’angoisses où nous étions seuls face à face et côte à côte avec elle, toujours menacés et insultés par son aveugle colère, toujours protégés par cette roche qu’elle ronge depuis des siècles incalculables sans pouvoir la dévorer. Nous étions pourtant en plein dans le ventre du monstre, et j’ai souvent pensé alors à la légende de Jonas dans la baleine. Sans doute le prophète était échoué comme nous sur un écueil. Dans son temps, on racontait tout en métaphore, et peut-être son refuge avait-il la forme fantastique du Léviathan de la Bible ; peut-être, comme nous,