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nette et la sensation intime de certains moments écoulés. Je n’ai jamais vu voler le papillon Thaïs sans revoir le lac Némi ; je n’ai jamais regardé certaines mousses dans mon herbier sans me retrouver sous l’ombre épaisse des yeuses de Frascati. Une petite pierre me fait revoir toute la montagne d’où je l’ai rapportée, et la revoir avec ses moindres détails du haut en bas. L’odeur du liseron-vrille fait apparaître devant moi un terrible paysage d’Espagne, dont je ne sais ni le nom ni l’emplacement, mais où j’ai passé avec ma mère à l’âge de quatre ans.

Ce phénomène de vision rétrospective ne m’est point particulier que je sache, mais il me frappe toujours comme une force d’évocation mystérieuse qu’aucun de nous ne saurait expliquer. Qu’est-ce donc que le passé, si nous pouvons le reconstituer avec une précision si entière et ressaisir avec son image les sensations de froid, de chaud, de plaisir, d’effroi ou de surprise que nous y avons subies ? Nous pouvons presque nous vanter d’emporter avec nous un site que nous traversons, où nos