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pas à court de nourriture, et le nombre de nos victimes dépassait de beaucoup ce que nous pouvions manger et emporter. Mon oncle trouva ma sensibilité déplacée, et s’en moqua si dédaigneusement, que mes soupçons me revinrent. Dans sa physionomie habituellement grave et douce, je voyais passer des éclairs de férocité qui me rappelaient la scène ou le rêve de la scène du navire. Quant à moi, j’étais navré de voir détruire ces phalanges d’oiseaux voyageurs que mon oncle qualifiait de stupides et qui ne se méfiaient pas de la stupidité humaine ; car ils venaient se jeter dans nos mains comme pour nous demander protection et amitié.

Après quelques jours de repos et de bombance dans la grotte, on se remit en route, courant toujours vers le nord sur une glace presque partout polie et brillante. La fièvre me reprit aussitôt que je fus dans mon traîneau, et, sentant que ma tête s’égarait, je me liai moi-même à mon véhicule afin de ne pas succomber à l’envie de l’abandonner et de m’aventurer dans ces farouches solitudes. Je